SP Formation : les OF passent à l'offensive
- Le 28/05/2018
Nouvelles stratégies commerciale, pédagogique... Le projet de loi "Avenir professionnel", présenté demain, le 29 mai 2018, en commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale, contraint les prestataires à réviser leur offre. Des inquiétudes demeurent sur le financement du compte personnel de formation (CPF).
C’est une nouvelle étape que doivent désormais franchir les organismes de formation. En effet, chaque actif pourra, via une appli ad hoc, contacter directement un organisme de formation et payer un stage avec les droits dont ils disposent sans mobiliser les Opca. Un changement de braquet salué, jeudi, par la Fédération de la formation professionnelle (FFP) qui souhaite "déverrouiller" le CPF. "36 % des Français accèdent à une formation, contre 50 % d’Allemands, pointe Pierre Courbebaisse, le nouveau président de la fédération professionnelle. Aussi sept millions de personnes supplémentaires doivent être formées".
Stratégies marketing
Mesures suffisantes pour susciter un engouement ? Les organismes de formation affûtent leur stratégie marketing pour mettre en valeur leur offre. L’objectif est de toucher le grand public en accélérant le passage d’une logique B to B (business to business) à une logique B to C (business to consumer). C’est à-dire de transformer l’individu en acheteur potentiel. Si des organismes à l’instar de Wall Street English fonctionnent déjà sur ce modèle-là, d’autres pourraient lui emboîter le pas rapidement, en optant aussi pour des encarts publicitaires dans le métro. D’autres prestataires, optent pour le marketing digital, via les réseaux sociaux (Viadeo, Twitter, Linkedin…). Ou "proposent des webinars grand public sur de nombreux domaines de formation", explique Michel Belli, directeur général de l’organisme de formation.
La plupart des organismes mise également sur des parcours individualisés, en scindant leur formation en blocs de compétences.
Avec à la clef, une offre multimodale, incluant du e-learning tutoré, du blended learning ou encore des classes virtuelles.
La Fest (formation en situation de travail) est aussi à l’étude. Attention, toutefois. "Si on ne devient compétent qu’en situation de travail, toute situation de travail n’est pas formative", met en garde Philippe Joffre, président de Paradoxes Conseil. D’où la nécessité de baliser cette nouvelle modalité pédagogique, considérée avec le projet de loi comme une action de formation.
Transformation de l’unité de mesure
L’inquiétude est cependant palpable au sein des organismes. Si la plupart des professionnels de la formation saluent la réforme, la transformation de l’unité de mesure du CPF, de l’heure à l’euro inquiète. Le gouvernement a choisi, en effet, de retenir un taux de conversion de 14,28 euros par heure de formation. Or, si celle-ci est supérieure au coût de prise en charge de la période de professionnalisation (fixé par le code du travail à 9,15 euros de l’heure), elle est, dans certains cas, bien inférieure au financement de certains Opca qui caracolent à 50 euros de l’heure pour le CPF. "Cela veut dire moins de droits pour les individus, remarque Natanaël Wright, président de Wall Street English (ex Wall Street Institute), un organisme de formation en langues. Si jusqu’ici une personne suivait une formation sur deux ans, elle devra, avec le nouveau système, se limiter à huit mois, en raison de la perte de son pouvoir d’achat".
"Concrètement, un salarié qui disposait hier de 100 % de ses droits à la formation, soit près de 5 000 euros au taux moyen de prise en charge des Opca, héritera seulement de 2 142 euros de droits". "Le taux horaire annoncé nous semble clairement insuffisant pour proposer des programmes de qualité, renchérit Gilles Pouligny. Cette mesure risque surtout de booster une offre low cost que nous refusons".
Sana Ronda, présidente de la commission Langue de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), est toutefois plus nuancée. Pour cette dernière, en effet, "les niveaux de prise en charge actuels ne sont pas viables à long terme". En clair : "le compte personnel de formation, lancé début 2015, est loin d'avoir atteint son rythme de croisière; cette situation a permis aux Opca de pratiquer des taux de prise en charge incitatifs, voire sans limite de plafond". En somme, le système actuel ne peut marcher que si peu de monde utilise le CPF. Or, Muriel Pénicaud vise un million de formations par an, contre environ 575 000 formations en 2017…
Ouvrir le CPF à des formations non certifiantes ?
C’est pourquoi les organismes comptent sur les abondements, à la fois, des entreprises, des branches professionnelles et des particuliers, pour augmenter la valeur actuelle fixée à 14,28 euros. La FFP demande ainsi un crédit d’impôt pour les salariés qui investiraient en formation. Elle souhaite également ouvrir le CPF à des formations non certifiantes, dans le cadre d’un co-investissement, avec l’accord du salarié ou des représentants de salariés. "Un intérêt individuel peut rejoindre l’intérêt d’une branche ou d’une entreprise dans une démarche de co-construction des parcours", justifie Guillaume Hulot, vice-président de la FFP.
Prolonger les périodes de professionnalisation
Surtout, ils veulent prolonger la période de professionnalisation, qui devrait être supprimée, selon le texte, dès le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel. "Il faut organiser un tuilage entre la période de professionnalisation qui permet de financer la formation de 300 000 personnes par an et la montée en charge du CPF", insiste Pierre Courbebaisse. D’où son souhait de reporter la suppression de cette manne bienfaitrice à fin 2020 pour organiser le passage de relais. Et éviter les trous d’air. Notamment au premier semestre 2019. Tous gardent en mémoire les pertes de chiffre d’affaires, causées par la suppression du DIF en 2014. D’autant que la fin du congé individuel de formation, également programmé à l’automne, pourrait plomber les comptes. "Quels seront les montants qui seront consacrés au CFP de transition professionnelle, s’interroge Gilles Pouligny. Beaucoup d’inconnues persistent".
Les inquiétudes
La partie n’est pas gagnée pour les organismes. Le CPF n’est pas encore un "droit universel". Les écueils sont, de fait, encore nombreux avant qu’il puisse dynamiser leur chiffre d’affaires. "Tous les Français ne veulent pas se former en dehors de leur temps de travail. Les réticences sont encore nombreuses", constate un autre expert. Natanael Wright de Wall Street English avait, d’ailleurs suggéré au ministère, d’ouvrir le CPF aux étudiants et aux retraités. Mais la proposition n’a pas été retenue. L’autre inquiétude porte sur la possibilité offerte aux stagiaires de mettre des appréciations sur la formation suivie, via l’application numérique. "Or, comment éviter les fausses notations, venant d’Inde ou des Seychelles, achetées par des sociétés frauduleuses", prévient Natanael Wright.
La relation B to C entraîne, par ailleurs, un accompagnement précis : prise en compte du besoin, audition du stagiaire, proposition de formation... La constitution d’un dossier peut même virer au cauchemar lorsque la personne hésite, voire se dédit…
Le risque est, enfin, d’avoir des gagnants et des perdants. "Avec d’un côté, des personnes bien informées et qualifiées, et de l’autre, des actifs qui n’ont pas la possibilité de se repérer dans ce marché complexe", alerte Philippe Joffre. La transformation attendue du Conseil en évolution professionnelle pourra-t-il modifier la donne ? Réponse d’ici quelques années…
Article de Anne Bariet, publié le 28/05/18 - actuEL RH
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